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L'IA et les deux antinomies de la question du travail selon Luc Ferry.

  • francknegro1900
  • 25 mars
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 sept.

Dans le chapitre de son livre : IA : Grand remplacement ou complémentarité, consacré aux impacts de l’IA sur l’emploi et le marché du travail, Luc Ferry résume assez bien les termes de la question. Celle-ci prend en réalité la forme de deux antinomies, ou deux thèses qui s’affrontent (au sens kantien du terme), lesquelles ne se situent d’ailleurs pas sur le même plan d’analyse, à savoir : 1) la question de fait : allons-nous, oui ou non, vers la fin du travail salarié remplacé par des IA ? 2) la question de droit : serait-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Ces deux questions opposent deux camps et donc deux thèses (ce que dit précisément le terme "antinomie").

 

Du point de vue de la question de fait, nous avons d’un côté ceux qui pensent que l’IA n’aura quasiment aucun impact sur l’emploi (thèse), et de l’autre ceux qui estiment que l’IA aura des effets conséquents (pour ne pas dire désastreux) sur l’emploi, provoquant une vague de chômage technique comme jamais l’humanité n’en a connu auparavant. Si l’on se place maintenant du point de vue de la question de droit, nous retrouvons d’un côté ceux qui pensent que la fin du travail est une bonne chose (thèse), et de l’autre ceux qui jugent que ce serait une « véritable catastrophe » (antithèse).


Selon Ferry, c’est par la question de fait qu’il convient de commencer, pour ensuite examiner la question de droit. Il entreprend donc d’analyser les arguments de ceux qui soutiennent la thèse de la continuité avec les révolutions technologiques passées et ceux qui, au contraire, défendent la thèse de la rupture radicale, considérant l’IA comme une révolution d’un genre tout à fait nouveau.

 

Ce qui ressurgit donc avec les développements récents de l’IA et l’avènement prochain d’une IA générale (AGI) dont les capacités cognitives seraient bien supérieures à celles de l’être humain (Elon Musk pense que cela devrait arriver avant 2030), c’est la question de la fin du travail, déjà débattue par Jeremy Rifkin dans son ouvrage La fin du travail (1995), publié quelques années avant la décision du gouvernement socialiste de voter la semaine de 35 heures. Rifkin réitérera quelques années plus tard dans La nouvelle société du coût marginal zéro (2014), alertant sur l’automatisation croissante du travail due à l’usage toujours plus important de l’intelligence artificielle. Cette thèse est aujourd’hui en quelque sorte validée par des entrepreneurs comme Elon Musk (Tesla, SpaceX, X) ou Sam Altman (OpenAI).

 

La question de fait sur les impacts de l’IA sur le travail. - Il faut donc commencer par l’examen des thèses avancées par ceux qui considèrent que la fin du travail et l’automatisation généralisée d’une grande partie des tâches et professions relèvent d’une chimère, et que l’IA aura, au pire, des effets similaires aux révolutions industrielles précédentes, au mieux des effets bénéfiques sur la productivité, la croissance et, par conséquent, sur la création d’emplois :

 

  • L’IA aura peu d’effet sur la productivité. Le premier argument repose sur l’idée que les gains de productivité engendrés par l’IA seraient trop faibles pour avoir des effets significatifs négatifs sur l’emploi. Un économiste comme Daron Acemoglu, professeur d’économie au MIT (Massachusetts Institute of Technology), et auteur avec Simon Johnson de Pouvoir et progrès aux éditions Pearson, estime qu’ils ne seront que de 0,5 %. Ce que contestent d’autres études, notamment celles de McKinsey ou de Goldman Sachs.

  • Il existe peu d’emplois entièrement automatisables. Le deuxième argument plaide que le nombre de professions intégralement automatisables est en réalité très limité. C’est ce que pense, par exemple, Philippe Aghion, économiste et coprésident de la Commission Intelligence Artificielle, professeur au Collège de France.

  • L’IA s’inscrit dans la continuité des révolutions industrielles précédentes. Le troisième argument repose sur la conviction que ce qui s’est produit lors des révolutions industrielles antérieures reste valable aujourd’hui. La révolution de l’IA serait une révolution industrielle et technologique comme une autre, obéissant à la logique décrite par Joseph Schumpeter, la "destruction créatrice". Comme toute révolution technologique, l’IA détruirait des emplois et ferait disparaître certains métiers, mais en ferait émerger de nouveaux, conduisant, in fine, à une création nette d’emplois. C’est la position d’un économiste schumpétérien comme Philippe Aghion, notamment dans son rapport IA. Notre ambition pour la France remis au gouvernement le 15 mars 2024.

  • L’IA générative va disparaître. C’est la thèse de deux chercheurs en intelligence artificielle, Yann Le Cun et Thomas Wolf, qui prévoient que d’ici cinq ans les Large Language Models (LLM) n’existeront plus. L’IA dite "générative" serait alors remplacée par une IA dite "représentative", capable de prendre en compte le contexte dans lequel elle est sollicitée, dotée de mémoire et de capacités de planification. Ce scénario renforcerait l’idée de la non-fin du travail, puisque l’IA générative n’aurait pas le temps de produire des effets significatifs sur la productivité.

 

À ces partisans de la non-fin du travail et de la continuité historique, qui gardent une vision optimiste des effets de l’IA, s’opposent ceux qui, au contraire, pensent que nous allons assister à une accélération de l’automatisation, conduisant à un monde littéralement "sans travail". Ils avancent généralement quatre arguments principaux, qui constituent autant de contre-arguments face à la grille d’analyse schumpétérienne :

 

  • L’IA pourra remplacer même des emplois peu automatisables. La distinction classique entre tâches routinières et non routinières, avec l’idée que seules les premières seraient automatisables, est remise en cause. Des économistes comme Daniel Susskind soulignent que les systèmes d’IA actuels apprennent par eux-mêmes et réalisent des tâches autrefois considérées comme non automatisables, y compris dans le domaine créatif.

  • Il n’y a pas que la productivité qui compte. L’idée que les gains de productivité de l’IA sont faibles et sans conséquence sur l’emploi est largement contestée par des études qui montrent, au contraire, des gains significatifs, notamment grâce à l’IA générative. Ces gains pourraient se traduire par des pertes massives d’emplois, puisqu’il serait possible de produire autant — voire plus — avec moins de main-d’œuvre.

  • La révolution de l’IA est différente des précédentes. Rien n’indique que, comme lors des révolutions passées, les emplois détruits seront compensés par de nouveaux métiers. L’IA touche désormais des activités jusque-là réservées aux humains, comme l’intelligence ou la manipulation du langage. Dans un contexte mondialisé, il serait erroné de penser cette révolution avec les outils du passé.

  • L’IA représentative ne ferait qu’aggraver la situation. La disparition annoncée de l’IA générative ne ferait que repousser le problème : des IA plus puissantes, dotées de mémoire et de planification, pourraient élargir encore le champ des tâches automatisées. Loin d’apaiser les craintes, cette évolution renforcerait l’idée d’une "fin du travail".

  • Les optimistes sous-estiment l’impact des RAG. Enfin, certains avancent que les Retrieval Augmented Generation (RAG), capables d’adapter des modèles généralistes à des tâches spécifiques, démultiplieraient les cas d’usage de l’IA générative et, par conséquent, l’automatisation des métiers.

 

La question de droit et l’hypothèse de la fin du travail. - Imaginons maintenant, comme le suggèrent Sam Altman (partisan du revenu universel) et Daniel Susskind, un monde où la quantité de travail disponible ne représenterait plus que 20 à 30 % de ce qu’elle est aujourd’hui. À quoi ressemblerait ce monde ? Que feraient nos enfants et nos petits-enfants dans un tel contexte ? Et surtout, comment devons-nous les y préparer ? Telles sont les trois interrogations inédites auxquelles nous devons répondre dès aujourd’hui. Dès lors, une question fondamentale se pose : un monde sans travail, où une grande partie des tâches de production de biens et de services serait transférée à des robots, serait-il souhaitable ? Deux camps s’opposent encore. Les uns pensent que les humains seraient enfin libres, affranchis de l’obligation d’exercer des emplois souvent subis (le travail comme aliénation). Les autres jugent qu’il s’agirait d’une catastrophe, car c’est précisément le travail qui, selon eux, donne un sens à la vie humaine (le travail comme catégorie anthropologique).

 

 

 

 

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