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L'ère de la musique sans musicien: quand "dire, c'est créer".

  • francknegro1900
  • 2 août
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 sept.

Selon des chiffres communiqués par la plateforme de streaming Deezer (Le Monde du 3 août 2025), près de 20 000 nouveaux morceaux de musique créés par des outils comme Suno seraient mis en ligne chaque jour. Problème : ces nouveaux morceaux, qui tendent de plus en plus à noyer le reste de la production, sont revendiqués par des artistes qui n’existent pas. Le journal Le Monde aurait identifié plus de cinquante "groupes" qui seraient susceptibles de générer leur musique avec des IA. Si des plateformes comme Deezer utilisent des outils afin de repérer ces morceaux générés par l’IA, il paraît impossible à ce jour de tous les identifier.

 

Fait paradoxal, symptomatique de la révolution de l’intelligence artificielle dite générative que nous connaissons actuellement : la jeune start-up américaine Suno, créée en décembre 2023 et revendiquant plus de 50 millions de visites mensuelles, aurait été entraînée sur des millions de morceaux en faisant totalement fi des règles élémentaires du droit de la propriété intellectuelle. D’où les actions en justice dont elle est actuellement l’objet pour violation de droits d’auteur. Dans sa version payante, précise Le Monde, Suno donnerait aux utilisateurs tous les droits commerciaux sur les chansons qu’ils génèrent via l’application, tout en assurant laisser un "watermark" (sorte de motif intégré, visible ou invisible, dans une photo, une image ou tout autre fichier numérique, comme un fichier audio, dont le but est d’indiquer l’identité du propriétaire et de protéger le droit d’auteur), qui serait seulement détectable par des machines.

 

Aux dires des utilisateurs de Suno, il serait désormais possible de créer très facilement des personas (terme généralement utilisé par les professionnels du marketing digital pour indiquer la représentation fictive d’un utilisateur, construite le plus souvent à l’aide de données comportementales, psychographiques et sociodémographiques) de chanteurs ou de chanteuses, avec des signatures vocales uniques qu’il est possible de réutiliser d’un morceau à l’autre. Pour le directeur de l’innovation chez Deezer, "grâce à l’IA, maintenant, on peut générer des catalogues qui sont complètement réalistes. (…) Il suffit d’aller sur Suno et on fait un catalogue complet qui ressemble aux Beatles." (Le Monde, 3 août 2025). Tous les styles sont d’ailleurs représentés, comme le blues, la country, la variété francophone, des groupes de métal fictifs, l’électro, ou encore la musique religieuse.

 

L’IA générative semble ainsi entériner qu’il n’est plus besoin de posséder un talent technique quelconque, comme le dessin, la peinture ou la musique, pour s’improviser d’un seul coup dessinateur, peintre ou chanteur. C’est un peu comme si l’on avait définitivement déconnecté, au sein même du processus de création, le processus d’idéation à proprement parler du processus de réalisation. Mouvement qu’avait déjà initié, dans une certaine mesure, l’invention de la photographie dans la première moitié du XIXᵉ siècle. D’un seul coup apparaissait en effet un moyen mécanique de reproduction instantanée de la réalité, qui allait obliger la peinture à questionner sa mission de représentation fidèle du réel et à se libérer de l’obligation de réalisme.

Les utilisateurs de Suno, d’ailleurs, bien que non musiciens, revendiquent aux morceaux qu’ils créent le caractère de création artistique, du fait même qu’ils en ont écrit les paroles et assuré la direction créative (prompts). En d’autres termes, la musique et l’art en général, du moins lorsque ce dernier prend la forme d’une création picturale, voire cinématographique, tendent à devenir ce que les linguistes ou philosophes du langage appellent des actes performatifs. Autrement dit, la réalisation de l’action de produire une œuvre d’art – comme un morceau de musique avec Suno, par exemple – se trouve tout entière dans la capacité que nous possédons tous, en tant que locuteurs, à proférer des énoncés (prompts). Pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre du philosophe du langage John Austin : « Dire, c’est faire ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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