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La liberté d'expression à l'épreuve des algorithmes.

  • francknegro1900
  • 20 janv.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 sept.

Dans un article du 20 janvier 2025, publié par le journal Le Monde, la philosophe Monique Canto-Sperber examine l'impact des algorithmes des plateformes et autres réseaux sociaux sur le débat public. Elle oppose deux conceptions de la liberté d’expression : celle Française, encadrée notamment par le corpus des lois sur la presse pour lesquelles un certain nombre de cas, comme les injures racistes et sexistes, la provocation à la haine, ou les fausses nouvelles, sont passibles de poursuites. Celle défendue par les États-Unis et inscrite dans le premier amendement de sa Constitution qui dispose que "le Congrès n’adoptera aucune loi (…) pour limiter la liberté d’expression." Dans ce cadre, des propos racistes, qui menaceraient autrui, ou créeraient encore un tort manifeste, peuvent être considérés Outre Atlantique, comme "des formes de contribution majeure au débat public", alors qu’ils seraient jugés en France, comme des délits.

 

Indépendamment des conceptions et options philosophiques que l’on peut avoir sur la question de la liberté d’expression, lesquelles, souvent, en pareil cas, peuvent être la plupart du temps justifiées par des arguments plus ou moins d’égale valeur, comme le prouvent assez bien les débats en cours, il n’est pas possible – et c’est ce que pointe l’excellent article de Monique Canto-Sperber -, de considérer aujourd’hui la question sans prendre en compte les incroyables changements qu’a subi la sphère médiatique, avec l’émergence, dans les années 1990 puis 2000, du web, des moteurs de recherche et des réseaux sociaux. C’est précisément dans ce cadre qu’est apparu, en Europe, le Digital Services Act (DSA), entièrement applicable depuis le 17 février 2024. Ce dernier vise, selon la formule désormais consacrée, à s’assurer que "ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne", en obligeant, entre autres, les plateformes (comme les réseaux sociaux), à proposer aux internautes un outil leur permettant de signaler des contenus jugés illicites, ou encore, de prendre un certain nombre de mesures en matière de modération des contenus. En d’autres termes, le DSA attribue non seulement aux plateformes une certaine forme de responsabilité quant à la légalité et le niveau de nocivité potentiel des contenus publiés, mais il associe à cette reconnaissance de responsabilité des obligations contraignantes qui leur enjoint de mettre en place des dispositifs de lutte contre la prolifération des contenus illégaux (discours haineux, désinformation, etc.). Par opposition, la section 230 du Communication Decency Act (CDA) américain de 1996 cité par Canto-Sperber, immunise les plateformes de toute responsabilité éditoriale relatif à des contenus publiés par des tiers (en d’autres termes, la responsabilité incombe à l’auteur du contenu), en les incitant tout au plus à supprimer le plus rapidement possible les contenus diffamatoires et illégaux.

 

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les décisions récentes d’un Mark Zuckerberg, remettant non seulement en doute l’efficacité de services de fact-checking, mais dénonçant surtout leur caractère politiquement biaisé. Dans un souci de favoriser la diversité des propos et de limiter au maximum une censure jugée liberticide et non conforme à la liberté d’expression telle que défendue par la majorité des Républicains, il y aurait ainsi une tendance actuelle, parmi les géants de la Tech, à favoriser l’autorégulation des contenus par les usagers eux-mêmes, via un dispositif d’ajout de commentaires sur une information jugée inexacte, comme cela est le cas pour la plateforme X d’Elon Musk. 

 

Or, questionne très légitimement la philosophe française, la liberté d’expression totale défendue par des géants de la Tech comme Meta ou X, arguant avec véhémence de la nécessité de laisser circuler les opinions et points de vue les plus divers qui soient dans un souci de maintenir à tout prix la vigueur démocratique, existe-t-elle vraiment, lorsqu’en même temps, cette dynamique, a priori louable et défendable, est désamorcée par des algorithmes situés au cœur du fonctionnement des réseaux sociaux et autres plateformes numériques ? Ces derniers, dont l’opacité est d’ailleurs totale, ne sont en effet pas là pour servir le débat démocratique et permettre à chacun de faire entendre sa voix, comme voudraient presque nous le laisser entendre un Zuckerberg ou un Musk, mais de pérenniser un modèle économique dont la fonction première est "de maximiser l’exposition des annonceurs" en privilégiant des messages, le plus souvent chargés d’émotions, qui suscitent le plus de vues ou de clics possibles.

 

Loin de favoriser le débat démocratique et l’exposition à des opinions et perspectives divergentes, les algorithmes réduisent au contraire les opportunités de dialogues constructifs, en amplifiant certains messages au détriment d’autres. C’est un peu comme si, précise Canto Sperber, "sur la place publique quelques-uns parlaient dans un mégaphone et les autres dans une sourdine. Surtout lorsque certains (suivez mon regard…) utilisent leur propre plateforme comme un outil de propagande politique au service d’un certain candidat républicain. La parole y est libre certes, poursuit la philosophe, mais sans impact pour la plupart des propos, une parole libre que nul n’entend : "Free speech is not free reach" ("la liberté d’expression n’est pas le libre accès").

 

Faut-il alors limiter les mécanismes d’amplification, ou augmenter la part d’aléatoire pour remédier en partie au problème, demande Canto-Sperber ? En d’autres termes, faut-il réguler les algorithmes ? Dans un monde ou les enjeux sont de plus en plus économiques, politiques et géopolitiques, je crains que les propositions de Madame Canto-Sperber, grande spécialiste de philosophie éthique, ne restent lettre morte. A moins que les usagers, consommateurs et autres annonceurs décident de quitter certains réseaux sociaux ?...  

 

 

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