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Les enjeux environnementaux de l'IA et le problème de la mesure de son empreinte écologique.

  • francknegro1900
  • 5 janv.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 sept.

Parmi les questions centrales de l’éthique de l’IA se trouvent celles relatives aux conséquences écologiques qu’elle entraîne. La recherche actuelle se concentre principalement sur l’évaluation des systèmes de Machine Learning et de Deep Learning, regroupés sous le terme d’IA connexionniste, par opposition à l’IA symbolique. La conception et le déploiement de grands modèles reposent en effet sur l’utilisation de volumes massifs de données (Big Data), ainsi que de ressources de calcul considérables, entraînant des conséquences écologiques indéniables. La puissance de calcul nécessaire à l’entraînement de ces modèles a connu une croissance exponentielle, mesurée par les informaticiens en FLOPs (Floating Point Operations per Second), soit le nombre d’opérations en virgule flottante qu’un ordinateur — en particulier un supercalculateur — peut effectuer en une seconde. Plus ce chiffre est élevé, plus le système est capable d’entraîner des modèles complexes sur de vastes ensembles de données. Mais cette performance a un prix : elle accroît directement l’empreinte énergétique de l’IA.

 

Pour autant, l’intelligence artificielle ne doit pas être envisagée uniquement comme une source de pression environnementale. Sur la base de l’analyse de scénarios prospectifs réalisée par différents organismes comme l’Ademe par exemple, l’IA peut aussi être considérée comme un outil de lutte contre le réchauffement climatique pour surveiller le climat, réduire la consommation énergétique, ou encore optimiser les transports. Il existe à cet effet de nombreux rapports visant à promouvoir l’IA en tant que solution aux problèmes environnementaux, comme ceux réalisés par le Parlement européen (The Role of Artificial Intelligence in the Green Deal) ou par le GIEC (Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change), qui mettent tous deux l’accent sur les aspects ambivalents de cette technologie, laquelle peut à la fois servir l’environnement, mais constitue en même temps un facteur d’accroissement de l’empreinte carbone.

 

Dès lors, un dilemme apparaît entre, d’une part, les promesses de l’intelligence artificielle comme outil au service de la transition écologique et, d’autre part, ses impacts environnementaux croissants liés à l’entraînement et au déploiement de modèles toujours plus puissants. Dans ce cadre, tout un champ de recherche autour de la question de l’évaluation de l’empreinte environnementale des systèmes d’IA a émergé au cours de ces dernières années. Comment en effet évaluer avec précision l’impact carbone, énergétique et environnemental global de ses technologies ? Quels indicateurs doivent être privilégiés pour tenir compte non seulement de la consommation d’énergie, mais aussi du cycle de vie complet des équipements mobilisés ? Dans quelle mesure l’IA peut-elle réellement contribuer à atténuer le changement climatique sans devenir elle-même un facteur d’aggravation ? Enfin, comment mettre en place une gouvernance éthique et systémique qui permette de concilier l’innovation technologique avec l’exigence de durabilité environnementale ?

 

Comment mesurer : approche basique. – Une approche naïve du calcul de l’empreinte carbone consisterait tout simplement à mesurer la consommation d’électricité d’un ordinateur faisant tourner un modèle d’IA sur une période donnée. Dans ce cadre, c’est la consommation d’électricité en kWh, laquelle génère des émissions de gaz à effet de serre, qui permettrait d’évaluer l’empreinte carbone, soit les émissions de CO2 produites par une activité humaine. On convertit alors la consommation d’électricité en empreinte carbone en se demandant, par exemple : quelle est l’empreinte carbone liée à la consommation d’un kWh d’électricité ? On parle ici de facteur d’émission, lequel varie d’un pays à l’autre en fonction du mix énergétique. En France, par exemple, nous serions à 101 grammes équivalent CO2 par kWh produit (101 g éqCO2/kWh), du fait que la part de l’énergie bas carbone est de 86% et celle des énergies renouvelables de 13%, tandis qu’en Norvège, 100% de la production d’électricité est à la fois bas carbone et renouvelable, ce qui donne, pour une consommation électrique identique, une empreinte carbone de 22 g éqCO2/kWh.

 

Si nous nous replaçons dans le contexte qui est le nôtre, à savoir l’IA, les émissions de carbone générées par un modèle varient selon l’endroit où a été réalisé son entraînement, et ce, pour une même consommation d’électricité. Cette empreinte carbone diffère donc considérablement d’un pays à l’autre. Dans ce cadre, la localisation des data centers sur des critères non plus fiscaux, mais environnementaux, devient un facteur clé pour lutter contre le réchauffement climatique.

 

Mesurer la totalité des impacts. – Mais cette méthode est bien trop simpliste pour rendre compte de la totalité des impacts que peut avoir l’entraînement de modèles d’IA sur l’environnement. Si l’on prend l’exemple d’un centre de calcul, ce dernier peut être constitué non seulement de serveurs de calcul, mais aussi de serveurs de stockage, d’un réseau, de systèmes de climatisation, d’un générateur, etc. Calculer de façon simplifiée l’empreinte carbone d’un service d’IA reviendrait en quelque sorte à ne prendre en compte que le serveur de calcul, alors même qu’il consomme indirectement une partie des autres équipements indispensables à son fonctionnement, lesquels consomment eux aussi de l’électricité. C’est précisément cette consommation globale que l’on va approximer via le calcul d’un PUE (Power Usage Effectiveness), ou facteur d’efficacité énergétique. Celui-ci correspond au rapport entre la consommation d’énergie totale du centre de calcul (incluant l’ensemble des équipements, comme le refroidissement ou l’éclairage) et la consommation directe des seuls équipements informatiques (serveurs, stockage, etc.).

 

C’est avec ce type de calcul qu’il devient véritablement possible d’évaluer de façon plus réaliste l’impact environnemental de l’entraînement d’un modèle. L’un des tout premiers articles à avoir procédé ainsi est celui de Strubell et al. : Energy and Policy Considerations for Deep Learning in NLP (2019), dans lequel les auteurs ont analysé la consommation énergétique nécessaire à l’entraînement de quatre modèles de NLP. D’autres études ont suivi depuis, en posant notamment la question de la corrélation possible entre le niveau de précision d’un modèle d’IA et son niveau de consommation d’énergie au moment de sa phase d'entraînement. Autrement dit : le gain marginal de précision obtenu justifie-t-il réellement la consommation marginale d’énergie qu’il engendre ?

 

Cycle de vie des équipements et du modèle. – Si les études citées comportaient des améliorations évidentes, elles ne prenaient toutefois pas en compte la totalité du cycle de vie des équipements et du modèle. On parle ici d’analyse de cycle de vie et des impacts environnementaux liés à ce cycle, depuis l’extraction des matières premières, en passant par les phases de fabrication, de distribution, d’usage et de fin de vie, avec à chacune des étapes la consommation de matières premières (minerais), d’énergie et d’eau. Une étude Facebook de 2021 (Wu et al., 2021) montre ainsi que la phase de production d’un modèle d’IA représente entre 20 et 40% des émissions carbone, tandis que la phase d’usage en concentre environ 60 à 80%.

 

L’évaluation de ce dernier peut être réalisée en prenant en compte cinq types de tâches et la consommation en énergie des équipements associés (capteurs, ordinateurs, serveurs, smartphones). Au sein de ces cinq types de tâches, on peut distinguer la phase d’entraînement du modèle (production) de la phase d’inférence (usage). On aura ainsi : 1) l’acquisition des données (équipements, capteurs, etc.), 2) le traitement des données (ordinateurs, équipements divers), 3) le stockage des données (disques durs, serveurs de stockage, etc.), 4) l’apprentissage (serveurs, infrastructures de calcul), 5) l’inférence (smartphones, ordinateurs personnels, etc.). Nous n’avons pourtant affaire ici qu’aux impacts de premier ordre, liés uniquement au cycle de vie des équipements numériques.

 

Or, lorsqu’on parle d’impacts environnementaux du numérique, il faut également prendre en compte les impacts de deuxième ordre (impacts positifs du numérique sur d’autres secteurs comme le bâtiment, où l’efficacité énergétique peut compenser en partie les impacts de premier ordre) et enfin les impacts de troisième ordre, qui sont de nature plus globale et systémique, comme les changements de comportements des utilisateurs (Kaack et al., 2021).

 

Proposition de cadrage. – Au terme d’une conférence qu’elle consacre aux enjeux environnementaux de l’IA, Anne-Laure Ligozat, professeure et chercheuse en informatique à ENSIIE, appelle à une évaluation systémique et interdisciplinaire des impacts environnementaux de cette technologie. Elle s’appuie pour cela sur le cadre proposé par Lynn H. Kaack dans son article d’octobre 2021 Aligning Artificial Intelligence with Climate Change Mitigation. Celui-ci distingue trois grandes catégories d’effets du Machine Learning sur les émissions de gaz à effet de serre : 1) les impacts liés aux infrastructures de calcul, 2) les impacts immédiats liés aux applications de Machine Learning, et 3) les impacts à l’échelle des systèmes.

 

Selon Ligozat, la plupart des études actuelles sur les impacts environnementaux de l’IA adoptent une vision trop limitée. Elles se concentrent essentiellement sur certains aspects isolés : l’empreinte carbone calculée à partir de la consommation énergétique, les performances des centres de calcul et de leurs équipements, ou encore les phases techniques d’apprentissage et d’inférence des modèles. Autrement dit, elles se bornent à mesurer des impacts directs et ponctuels, sans prendre en compte l’ensemble des facteurs en jeu. C’est précisément cette approche fragmentaire que Ligozat invite à dépasser. Elle appelle la communauté scientifique à développer une évaluation plus globale et cohérente, capable de couvrir l’intégralité du cycle de vie d’un système d’intelligence artificielle. Ce cycle peut être découpé en trois grandes étapes – la production, l’usage et la fin de vie – auxquelles il convient d’associer à la fois des indicateurs d’impacts écologiques directs et des effets indirects, souvent négligés mais tout aussi déterminants.

 

  • Impacts des équipements numériques et IA : La première partie de l’appel à projets fait directement référence à la notion de "cycle de vie de tous les équipements nécessaires pour créer et déployer le projet proposé", lequel comprend les phases d’extraction des matières premières, de fabrication, de transport, d’utilisation et de fin de vie. Dans le cas du développement d’un système d’IA, l’analyse d’impact doit également prendre en compte les différentes étapes de création et de déploiement, comme l’acquisition, le traitement, le transport et le stockage des données, l’apprentissage du modèle et les inférences.

  • Impacts environnementaux, comportementaux, économiques et sociétaux : Beaucoup plus ambitieux et difficiles à quantifier, ce second type d’impact vise à réaliser un bilan environnemental global en soulignant les effets potentiels, souvent qualitatifs, qu’un système d’IA peut avoir. Les auteurs mentionnent notamment l’effet d’obsolescence (renouvellement accéléré du parc de véhicules conduisant à un épuisement des ressources), l’effet rebond direct (augmentation des distances parcourues du fait de la baisse des coûts d’utilisation et de la valorisation du temps de trajet, générant plus d’émissions de gaz à effet de serre), l’effet rebond indirect (gains économiques réinvestis dans des produits ou services à fort impact environnemental, comme les trajets en avion), ainsi que des transformations sociales (changements d’habitudes de déplacement influant sur les émissions de gaz à effet de serre, la biodiversité et plus largement les écosystèmes).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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