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Trois mythes sur l'avenir du travail selon Daniel Susskind.

  • francknegro1900
  • 25 mai 2023
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 sept.

Dans sa conférence TED donnée en Allemagne en décembre 2017, Daniel Susskind, professeur-chercheur en économie au King’s College de Londres, propose une réflexion sur les transformations profondes que la robotique et l’intelligence artificielle feront peser sur le travail, l’emploi et la société. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Un monde sans travail (Flammarion, 2023), où il prophétise la fin du travail et l’avènement d’une société de loisirs régulée par l’État, Susskind analyse plus largement les impacts possibles du développement des technologies d’IA. Selon lui, la question centrale n’est pas seulement de savoir si les nouvelles technologies représentent une menace réelle pour l’emploi — ce qu’il admet —, mais de comprendre quel sera, à l’avenir, le problème inédit que l’humanité devra résoudre. Pour éclairer ce débat, il affirme que notre vision de l’automatisation reste obscurcie par trois mythes qu’il convient de déconstruire : le mythe de Terminator, le mythe de l’intelligence et le mythe de la supériorité.

 

Le mythe de Terminator : Il faut d’abord se débarrasser de l’idée d’un monde du travail progressivement et entièrement remplacé par des robots. Certes, de nombreuses tâches autrefois réalisées manuellement sont aujourd’hui automatisées, mais ces technologies enrichissent et augmentent aussi la valeur du travail humain. Elles ne suppriment pas l’activité en question, elles la rendent plus efficace. Susskind cite l’exemple du chauffeur de taxi utilisant un système de navigation par satellite, ou encore celui d’un architecte travaillant avec un logiciel de conception assistée par ordinateur. Cette complémentarité entre travail humain et progrès technologique a un double effet positif :

 

  • Elle augmente la production globale grâce à un gain de productivité, facilitant ainsi la mobilité du travail et la reconversion des travailleurs affectés.

  • Elle transforme la demande : les revenus supplémentaires créent de nouveaux produits, de nouvelles industries, et donc de nouvelles tâches et de nouveaux métiers.

 

Une illustration de ce phénomène se trouve dans l’évolution de la répartition de l’emploi entre secteurs : du primaire (agriculture), au secondaire (industrie), puis au tertiaire (services). En trois siècles, la majorité de la population est passée des fermes aux usines, puis aux bureaux. Le véritable enjeu du "mythe Terminator" est donc celui de la reconversion des travailleurs impactés par les transformations technologiques.

 

Le mythe de l’intelligence : Le deuxième mythe à déconstruire est celui que Susskind appelle le "mythe de l’intelligence". Jusqu’à récemment, beaucoup d’économistes pensaient que des tâches comme la conduite automobile ou le diagnostic médical étaient difficilement automatisables. Nous savons aujourd’hui que ce n’est plus le cas. De nombreuses tâches exigeant des capacités cognitives élevées peuvent être accomplies par des intelligences artificielles avec une efficacité supérieure à celle des humains. Selon Susskind, les économistes ont été dupés par la croyance qu’il fallait, pour automatiser, reproduire les modes de pensée humains. En pratique, les machines ne copient pas nos raisonnements. Elles réalisent les mêmes tâches autrement, à partir de modèles entraînés sur des données massives. Autrement dit, ce qui importe n’est plus la manière dont une tâche est accomplie, mais le fait qu’elle le soit, même différemment. Cela signifie que la compréhension du cerveau humain est devenue secondaire. Les machines réalisent les tâches selon des logiques propres, sans chercher à imiter l’intelligence humaine.

 

Le mythe de la supériorité : Le troisième mythe est celui de la « supériorité ». Les partisans du mythe Terminator considèrent que les machines ne peuvent qu’évincer les travailleurs humains. Ils tombent ainsi dans ce que l’économiste D.F. Schloss appelait en 1891 le "sophisme de la masse fixe de travail" : l’idée qu’il existerait une quantité immuable d’emplois à répartir. Or, l’histoire a montré que l’augmentation de la productivité engendre au contraire plus de production, plus de demande et, in fine, plus de travail. Susskind ne nie pas que les machines se substituent à certaines tâches humaines. Mais il avertit que, dans un futur proche, la complémentarité ne suffira peut-être plus à créer de nouvelles opportunités pour les humains. L’exemple de la conduite automobile est parlant. Aujourd’hui, les GPS assistent les conducteurs ; demain, les véhicules autonomes pourraient remplacer totalement le chauffeur. Dans ce scénario, la production continue d’augmenter, mais les nouvelles tâches seraient réalisées par des machines plutôt que par des humains. La création de valeur ne garantirait donc plus la création d’emplois humains.

 

Enseignements et recommandations : De ces trois mythes, Daniel Susskind tire plusieurs enseignements :

 

  • Le mythe de Terminator montre que l’avenir du travail dépend de l’équilibre entre substitution et complémentarité.

  • Le mythe de l’intelligence montre que la substitution progresse inexorablement et qu’il n’y a aucune raison d’imaginer une limite.

  • La complémentarité reste bénéfique tant que les nouvelles tâches créées par la croissance profitent aussi aux humains, et pas seulement aux machines.

  • Mais le mythe de la supériorité révèle que cette complémentarité se réduit, laissant présager un basculement en faveur des machines.

 

En combinant ces trois dynamiques, Susskind dessine un avenir préoccupant : des machines de plus en plus intelligentes, accomplissant un éventail croissant de tâches, et réduisant progressivement la complémentarité homme-machine. Les effets bénéfiques traditionnels du progrès technique pourraient ainsi s’inverser au profit exclusif des machines. Pour autant, il termine sur une note d’optimisme : si le chômage technologique est le symptôme du succès technique de l’humanité — l’augmentation spectaculaire de la production depuis la révolution industrielle —, le véritable défi n’est plus d’accroître la richesse collective, mais de mieux la répartir. Autrement dit : comment garantir que la prospérité générée par le capitalisme bénéficie à tous, dans un monde où le rôle du travail humain tend à décliner ? Tel est, selon Susskind, le problème fondamental que nos sociétés devront résoudre.

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